Pianiste renommé, il aime monter des spectacles pour raconter la vie des grands compositeurs.
Prochain sujet : Chopin, comme on ne l’avait jamais connu.
Concerts, festivals, vos spectacles... Le récital simple vous ennuie ?
J’y prends toujours beaucoup de plaisir ! Mais c’est une forme parmi d’autres, qu’on doit à Franz Liszt qui a créé cette forme où on est seul en scène pour jouer la musique des morts. Avant cela, les concerts étaient plus vivants et dynamiques : un concert pouvait accueillir un comédien qui lit du Musset, une cantatrice, avant de laisser place à un orchestre... J’aime le côté dépouillé du récital, où la musique vaut par elle-même. Mais j’aime aussi créer d’autres formats pour faire découvrir la musique autrement.
L’INTERVIEW
Votre histoire avec Chopin est assez ancienne… Pourquoi avoir attendu aussi longtemps avant d’en faire le cœur d’un spectacle ?
C’est vrai que j’en jouais déjà enfant, ou plutôt adolescent. C’est une musique qui m’a toujours fasciné. Et depuis une quinzaine d’années j’écris des spectacles pour mettre en évidence le destin de personnalités du monde de la musique. J’ai pu parler de mon maître, Georges Cziffra (l’un des plus grands pianistes du XXe siècle selon moi), puis Liszt, Beethoven, bientôt Bach… Pour Chopin, j’en avais très envie mais je ne savais pas de quelle manière l’aborder, car sa vie n’était pas aussi romancée que celles de Beethov ou Liszt. Il était à la fois grand pianiste et grand pédagogue, il a toujours été un professeur très demandé. Il a même écrit une méthode, peu connue, même des pianistes, avec douze feuillets écrits de sa main, et des pépites extraordinaires qui aident l’interprète. On connaît aussi des témoignages incroyables de ses élèves, de ses cours.
Lors de mes années de Conservatoire j’étais parfois dépité, découragé face à une œuvre. Je me disais que je n’y arriverais jamais, mais un jour en découvrant ces témoignages j’ai découvert que je n’étais peut-être pas à côté de la plaque. Il a écrit des phrases comme « même si vous faites différemment de ce que j’ai écrit, ce sera peut-être mieux encore », et cela m’a redonné confiance. Ces phrases donnent le droit d’être un interprète, elles libèrent le musicien et soulignent l’art de l’interprétation.
Quelle forme prend le spectacle ?
Je ne voulais pas que ce soit un spectacle trop technique. J’ai donc imaginé Chopin me donnant une masterclass autour de as première ballade, une de ses œuvres les plus connues et les plus emblématiques de son répertoire. Ecrite á une époque où il hésitait à rejoindre la Pologne pour combattre contre les Russes, mais son père lui avait conseillé de rester à Paris, lui disant qu’il ferait honneur à la Pologne avec son piano. C’est donc une œuvre de l’exil, qui reflète sa souffrance, l’espoir, la révolte et la poésie. J’ai repris les mots qu’il a vraiment dit à ses élèves, et je joue à la fois son rôle et le mien sur scène. Ce n’est pas une conférence !
Bach fait aussi partie des morceaux joués pendant le spectacle, c’est étonnant !
Sans trop déflorer le spectacle, disons que Chopin conseillait à ses élèves de jouer Bach (préludes et fugues) avant de jouer sa musique, pour mieux progresser. Il avait une extraordinaire admiration pour Bach.
Vous jouez deux personnages : le théâtre, cela vous titille depuis longtemps ?
J’ai toujours admiré les acteurs. Et j’avais envie de connaître le même plaisir qu’eux. Vous savez, umn concertiste joue un soir à Berlin, le lendemain à Paris et trois jours plus tard à Londres. A chaque fois avec un nouveau piano, une nouvelle salle, une nouvelle acoustique… Alors que les comédiens peuvent jouer dans le même lieu plusieurs mois d’affilée ! J’ai toujours aimé la comédie, et je me suis rapproché des acteurs et j’ai travaillé avec eux pour plusieurs projets. Jean Piat, Francis Huster, Mathieu Kassovitz, Brigitte Fossey… car je trouvais formidable d’ajouter du contexte à la musique et à une œuvre. Surtout pour les publics qui connaissent moins, c’est une manière de découvrir la musique sous une autre facette. C’est de là que part la création du festival Notes d’Automne chez moi, au Perreux-sur-Marne, avec des rencontres littéraires et musicales. Quand je me suis penché sur les destins de compositeurs que j’ai proposés en spectacles, j’ai voulu raconter au mieux tout cela, je me suis formé avec mon metteur en scène Christian Fromont et j’ai progressé aussi au contact des comédiens.
LE QUESTIONNAIRE
Dernière chose avant d’entrer en scène ? Une forme de méditation, de visualisation, pour ne pas arriver sur scène comme si de rien n’était.
Votre livre du moment ? Le voyage à Leipzig, de Michel Mollard, sur les fugues de Bach.
Le 1er disque acheté avec votre argent ? Un disque de Cziffra, mon professeur de l’époque.
Le film que vous avez hâte de montrer à vos enfants ? Douze hommes en colère, que j’ai conseillé à ma fille de dix-huit ans.
Première chose en sortant de scène ? Je change de chemise et je me demande si j’étais à la hauteur de la responsabilité qui m’incombait.